Tribunes

Le sport est-il vraiment bon pour la santé des entreprises ? Par Amine Ezzerouali

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Running entre collègues, cours de yoga ou introduction au "crossfit", match de foot lors de tournois inter-entreprises, marathons en équipe, initiation à l’escalade lors d’un teambuilding et autres activités sportives sont organisés par les entreprises pour leurs collaborateurs.

La tendance est à la hausse, comme en témoignent les études et sondages récents sur les effets de la pratique des activités sportives et physiques en entreprise.

Par exemple, dans le baromètre "Vitalité, Sport et Entreprise" réalisé par OpinonWay en 2018, 94% des salariés ont déclaré être satisfaits du sport au travail, et 100% des dirigeants qui le proposent le recommandent. 

Une offre valorisée

Entre quête de bien-être, mimétisme, dépassement de soi, impératif de santé, les raisons qui poussent les femmes et les hommes à la pratique du sport sont nombreuses et variées. Mais ceci n’est pas nouveau. Ce qu’il l’est en revanche, c’est l’engouement des entreprises pour le sport.

Au-delà des classiques du sponsoring sportif (évènements sportifs, compétitions, clubs, athlètes) et des valeurs sportives (l’équipe, l’effort, le dépassement de soi), l’offre de sport en entreprise pour les collaborateurs est de plus en plus mise en avant.

Pourquoi les entreprises s’intéresseraient-elles aux activités sportives et physiques ? Comme ne cesse de le répéter l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) au travers de ses recommandations, le sport est bon pour la santé. Le sport le serait-il pour la santé des entreprises ?

Une convergence d'intérêts

Tout d’abord, comme le souligne Bertrand Pulmanil existerait une convergence d’intérêts favorable au développement du sport en entreprise.

Il s'agit, d’une part, d'un intérêt général de santé publique et d’autre part, d'un double intérêt privé : celui des collaborateurs qui souhaitent que leur entreprise se préoccupe de leur bien-être, et celui des entreprises qui voudraient que leurs collaborateurs soient en bonne santé.

En outre, le sport est de plus en plus perçu comme une composante importante de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), car de plus en plus associé à la qualité de vie au travail, notamment à la prévention des risques en entreprise.

Les enjeux de santé relèvent évidemment de l’intérêt général, mais il serait irresponsable de négliger les effets du travail sur la santé : accidents, stress, burn out, troubles musculaires etc.

Les rapports de l’INRS mettent régulièrement en avant les responsabilités des entreprises quant à la prévention des risques psychosociaux (RPS) et des troubles musculo-squelettiques (TMS).

Bon pour la santé, donc bon pour le business ? Pas sûr

Le sport en entreprise est-il pour autant synonyme d’augmentation du bien-être des collaborateurs et de la productivité des organisations ? Pas nécessairement.

Si l’augmentation de la productivité est souvent mise en avant, toutes les études ne convergent pas vers ce constat. Sur les sports en groupe, je recommande notamment le papier de Brinkley et al. (2017) publié dans le Journal of Sports Sciences.

De même, les études portant sur la relation entre pratique du sport en entreprise et diminution des RPS/TMS ne sont pas toutes unanimes. L’INRS a ainsi publié les conclusions mitigées d'une étude portant sur la relation entre pratique d'exercices physiques (renforcement musculaire, étirements, exercices d’échauffement, etc.) et prévention des TMS (qui, rappelons-le, représentent 87% des maladies professionnelles en France...). Le sport est bon pour la santé, le sport devrait être bon aussi pour le business... Qu’est-ce qui ne fonctionne pas ?

Comme le souligne Charlotte Lieberman dans un article paru sur le site de HBR, si ces programmes peuvent théoriquement avoir des retombées positives en termes de productivité, ils ne sont pas tous conçus avec pour objectif principal d’améliorer le bien-être des collaborateurs.

Les recherches montrent que la culture organisationnelle est l’un des freins majeurs à la réussite des initiatives de sport et programmes de bien-être en entreprise. En effet, certains environnements de travail peuvent paraitre paradoxaux, voire schizophrènes : générateurs de pression, de stress et autres troubles professionnels d'un côté, prescripteurs de bien-être de l'autre. Les exigences professionnelles y sont tellement élevées et contraignantes qu’elles génèrent des risques professionnels, devenant ainsi inhérents au fonctionnement organisationnel.

Pallier une organisation du travail défaillante

Dans ces environnements où performance rime avec pression(s) et tension(s), les collaborateurs ne perçoivent pas les programmes de sport comme un vecteur de bien-être, mais plutôt comme une transaction tacite : s’il est naturel que l’environnement de travail crée du stress, alors il est tout à fait naturel que l’organisation y remédie.

Si, par exemple, l’organisation du travail, l’équilibre vie professionnelle-vie privée ou le management génèrent du stress, ce ne sont pas des cours de méditation ou de yoga qui régleront le problème.

Au lieu de traiter les facteurs organisationnels qui favorisent ces risques professionnels dans une approche systémique, on se limite donc aux symptômes,c'est à dire à la face visible de l’iceberg. Et les collaborateurs en sont bien conscients.

Le sport en entreprise constitue sans nul doute une opportunité pour les organisations de renforcer l’engagement en interne, mais seulement s’il est mis en place de façon pérenne dans le but d’améliorer le bien-être des collaborateurs.

Car il ne faut pas oublier que l’engagement s’entend dans les deux sens : les collaborateurs envers l’entreprise, mais aussi l’entreprise envers ses collaborateurs. Sur ce sujet, je recommande vivement les travaux de Lionel Garreau et Serge Perrot Comme le souligne Stéphanie Chasserio dans ses recherches sur le bien-être et la qualité de vie au travail, le succès réside dans l’action prospective et pérenne (dans le temps). La démarche doit donc s' inscrire dans l'ADN de l'entreprise. 

Ne pas culpabiliser

Autre écueil, le fait de culpabiliser, voire stigmatiser, les collaborateurs qui n’en feraient pas. Le sport en entreprise n’est pas une fin en soi, ce n’est qu’un chemin parmi d’autres vers la recherche du bien-être. Chercher à en faire une norme sociale serait contre-productif, comme le notent Carl Cederström et Andre Spicer dans leurs travaux sur le syndrome du bien-être.

Dans leur quête du bien-être, si certains collaborateurs préfèrent d’autres pistes que le sport en entreprise, libre à eux ! A ce sujet, il est d’ailleurs intéressant de souligner les phénomènes d’addiction au sport chez certains cadres, où la discipline sportive extrême est synonyme de "manager de l’extrême", comme le démontrent Thibaud Bardon et François-Régis Puyou dans leur tribune "Après quoi les managers courent-ils ?"

Carl Cederström cite d’ailleurs une anecdote assez parlante : sur son lieu de vacances, son voisin lui demande de garder ses enfants durant deux heures, le temps de faire son jogging. Un jogging de deux heures, cela ne peut que forcer le respect, voire l’admiration. Imaginez ce même voisin demandant à ce que l’on garde ses enfants pendant deux heures, le temps qu’il fasse une sieste ou aille se reposer au café du coin, serions-nous tout aussi respectueux et admiratifs ?

En conclusion

Pour conclure, le sport en entreprise pourrait avoir un réel impact sur l’engagement, le bien-être et la productivité des collaborateurs, à condition de l’inscrire de façon pérenne comme levier de bien-être au travail. Que ce soit lors de compétitions, de levées de fonds, de causes sociales et/ou environnementales, on peut observer à quel point le sport peut créer des élans d’énergie, de solidarité et de cohésion. C’est une réelle opportunité de créer et de donner du sens, tant au niveau individuel que collectif, notamment pour les entreprises/organisations qui sauront l’inscrire dans leur ADN.

A propos de l'auteur

Amine Ezzerouali est enseignant chercheur à Skema Business School et directeur scientifique du Master of Science International HR and Performance Management.

Il est diplômé de l’université Paris-Dauphine et de l’IAE d’Aix-en-Provence.