Bande-dessinée, l'exception française

« Comme je dessinais très très mal, je me suis contenté de faire un petit rond, une petite mèche pour donner un accent, comme ça j’étais certain qu’on le reconnaitrait de dessin en dessin ». Le 5 janvier 1979, dans l’émission Apostrophe de Bernard Pivot, Hergé raconte la naissance de Tintin, héro emblématique de la bande dessinée, né en 1929 aux Pays des Soviets. A l’époque, la BD s’adresse aux enfants. Des dessins et des bulles, cela ne peut pas être sérieux, cela ne peut pas intéresser des adultes. Astérix, Gaston, les Schtroumpfs, Yakari ou Spirou restent donc les héros d’univers enfantins.

A partir des années 70-80, la BD se débride. L’arrivée de la bande dessinée politique et contestataire d’Harakiri ou Charly Hebdo, puis celle du manga japonais, vont façonner une nouvelle génération. De nouveaux auteurs inventent ou racontent de nouvelles histoires dans de nouveaux styles et séduisent de nouveaux lecteurs.

« En 1982, ça ne faisait pas très bon genre d’être fan de bande dessiné, c’était un sous genre. Nous avions moins de 300 nouveautés par an, alors qu’aujourd’hui, c’est 5500, donc c’est une révolution », résume Samuel Chauveau, qui a ouvert la librairie Bulle au Mans, il y a quarante ans. Elle est devenue la plus grande de France entièrement consacrée à la bande dessinée.

Un siècle après l’apparition de Tintin, la BD se porte tellement bien en France qu’elle tire tout le secteur de l’édition vers le haut : 85 millions d’albums vendues en 2022 dans l’hexagone, un livre acheté sur quatre est une bande dessinée. Il y a une exception française. Nous aimons tous les genres : du comics américain au manga. Nous lisons tout : science-fiction, enquêtes journalistiques, humour, récits historiques ou enjeux climatiques. Quel que soit notre âge : de Mortelle Adèle à Astérix, en passant par les Cahiers d’Ester, Persépolis ou Le monde sans fin.

Avec le plus grand festival de BD du monde à Angoulême, avec son réseau de librairie, avec ses éditeurs historiques ou plus récents, ses dessinateurs stars qu’on s’arrache aux enchères, la France porte aujourd’hui la bande dessinée, qu’elle a d’ailleurs érigé en 9ème art. Elle s’adapte aussi à une nouvelle consommation qui déferle d’Asie : le webtoon - la BD déroulante pour les supports numériques.

"BD, l'exception française" Reportage de Laetitia Gayet