Murielle Jamot est à la tête de la direction des métiers et des opérations qui encadre, en France métropolitaine et d’Outre-mer, nos filières : Personnes âgées ; Domicile ; Personnes en situation de handicap ; Enfants et familles ; Lutte contre les exclusions ; Sanitaire ; ainsi que nos instituts de formation. Nous avons souhaité avoir son éclairage sur cette situation hors normes.

Propos recueillis par Benjamin Lagrange

Crédits photos: Nicolas Beaumont et Leif Carlsson

Cela représente 600 structures, 30 000 salariés et bénévoles impactés de près ou de loin par la pandémie de Covid-19, sans oublier les 20 000 apprenants formés aux métiers du sanitaire et du social dans nos instituts. Retour sur une situation qui perdure depuis mars 2020 :

Globalement, quel est l’état de nos équipes dans les établissements et services après un an de lutte contre le Covid-19 ?

Murielle Jamot : Elles tiennent le choc et demeurent très actives. D’ailleurs, je tiens à les remercier vivement de leur mobilisation sans faille depuis le début de cette crise. Évidemment, on peut observer une lassitude généralisée. Les équipes ont subi beaucoup de stress au début, au moment où nous n’avions pas encore l’équipement nécessaire et où l’on ne connaissait pas bien ce nouveau virus. Aujourd’hui, notre personnel est bien équipé et mieux préparé. Cependant, vu la durée de la crise, la fatigue des équipes est omniprésente. Certains salariés ont aussi été touchés directement par la maladie, surtout nos intervenants auprès des personnes âgées, mais également ceux de la filière sanitaire. Fort heureusement, nous n’avons pas encore eu à déplorer de décès lié au Covid-19 au sein de nos effectifs.

Comment se met en place la vaccination au sein de nos établissements et services ?

M. J. : Cela se fait doucement, mais sûrement. Dans nos établissements et services dédiés aux personnes âgées, toutes les premières injections sont programmées. Elles ne sont pas encore toutes réalisées, non par manque de préparation de nos structures, mais par manque de doses de vaccins. À ce jour, [ndlr : le 2 février 2021], 1 100 personnes ont été vaccinées, essentiellement des résidents de nos Ehpad. Il faut y ajouter les 635 salariés qui étaient éligibles à la vaccination. La vaccination commence aussi à se mettre en place lentement dans le secteur du handicap.

Nous n’avons pas eu de remontées concernant des difficultés particulières liées à la vaccination. En règle générale, elle est bien acceptée.

Quel bilan peut-on tirer depuis mars 2020 ?

M. J. : On peut découper cette période en trois temps majeurs. Le premier est celui de la crise aigüe de mars-avril, où nos équipes étaient, pour la plupart, très angoissées. Cela était lié, comme je le disais à l’instant, au manque de matériel de protection individuelle (masques, gants, etc.), mais aussi à la rareté, voire à l’absence totale de tests. De plus, des clusters sont apparus dans certains de nos Ehpad. Cependant, nous avons eu la chance de retrouver un stock de masques chirurgicaux et FFP2 que l’on a pu fournir à nos salariés et bénévoles les plus exposés. Nous les avons répartis géographiquement en fonction de la circulation du virus. Ensuite, nous avons pu commander de grandes quantités de masques auprès de nos fournisseurs. Cette période a aussi été celle de la montée en compétences autour des pratiques à tenir face au Covid-19. C’est également celle où nous avons été contraints de fermer des établissements, comme nos crèches, nos instituts de formation que l’on a pu ouvrir à nouveau en mai et pour certains au mois de juin. Ils le sont restés depuis, même si l’on doit parfois fermer temporairement des crèches qui présentent trop de cas.

La seconde phase qui a couru jusqu’au mois de janvier 2021 est celle de la gestion en continu de la crise sanitaire. En effet, il n’y a jamais eu de « pause » pour nous, même si on a vécu des moments moins intenses que d’autres. De façon générale, dans nos structures, le Covid-19 est resté au centre des préoccupations quotidiennes.

Depuis janvier 2021, la vaccination a nécessité que l’on mette en place des procédures ad hoc, avec comme corollaire une lueur d’espoir autour de l’idée d’une gestion plus aisée de la crise dans les mois à venir, même si on sait que cela va prendre du temps. Toutefois, en Ehpad, nous continuons à être confrontés aux peurs et à la lassitude des familles. En effet, c’est souvent compliqué pour elles de rendre visite à leurs aînés, une situation que parfois elles ne comprennent pas.

Il semblerait que cette crise ait vu naître des initiatives innovantes au sein de nos structures. Qu’en est-il ?

M. J. : On peut appeler ça les effets « positifs » du Covid-19, où nous avons assisté à un véritable boom du numérique. On peut citer les dispositifs de réalité virtuelle avec les lunettes 3-D de divertissement qui nous permettent de proposer des formes d’« évasion » aux personnes âgées en établissement, tout comme les outils de communication à distance. Je pense ici notamment aux tablettes numériques, rendant l’échange avec les famille beaucoup plus fluide et vivant. Les retours des directeurs d’établissements sont très bons. D’ailleurs, ces outils sont beaucoup plus utilisés que ce que l’on aurait pu imaginer au départ. J’aimerais ajouter que les dispositifs de connexion à distance n’ont pas été utilisés que dans les Ehpad, mais aussi dans le champ du handicap et celui de la protection de l’enfance. En effet, lors du premier confinement, les enfants n’ont pas pu rentrer chez eux aussi régulièrement qu’avant ou recevoir la visite de leurs parents.

Selon vous, comment pouvons-nous nous projeter dans 6 mois ou un an ?

M. J. : Il est très difficile de répondre à cette question. Comme tout un chacun, je ne suis pas en mesure d’avoir une vision autre qu’à court terme. Cependant, dans 6 mois, j’espère que l’on commencera à voir les effets bénéfiques de la vaccination, que le virus ne va pas muter de manière trop dangereuse pour l’homme et que les vaccins seront toujours efficaces.

Le Covid-19 rend modeste : il y a un an, personne ne pouvait prédire ce qui allait nous arriver. Je reste donc très prudente.

Étant de nature optimiste, j’ai l’espoir que dans 6 mois nous aurons retrouvé une activité quasi-normale et que les plus fragiles et vulnérables auront tous été vaccinés. Ce qui est malheureusement plus sûr, est que, d’ici 6 mois à un an, une crise économique de grande ampleur va nous frapper. La troisième vague en France, si elle n’est pas sanitaire, risque d’être sociale. Le nombre de personnes en situation de précarité va augmenter. En tant que Croix-Rouge, nous serons là pour les accompagner.